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Coupure de presse

Caroline Marcoux-Gendron, 15 avril 2011

Les 22 et 23 mars derniers étaient présentés le spectacle Géométries aléatoires par l’Ensemble SuperMusique. Pilier dans la diffusion de la musique actuelle, cette formation était pour l’occasion constituée de dix musiciens aux âges et aux styles très variés, à l’image du répertoire hétéroclite qui allait d’ailleurs être exécuté.

Les dimensions modestes de la salle Multimédia du Conservatoire de Montréal forçaient l’auditoire à une sorte d’intrusion dans l’univers du groupe, à une expérience pour le moins singulière. Et c’est justement ce qu’a été ce concert de musique actuelle: une expérience, intellectuelle et sensorielle, d’une musique faite pour être vue autant, sinon plus, que pour être entendue. D’emblée, la pièce Espaces en mouvement était une manière de planter le décor de la soirée: les musiciens se sont déplacés les uns vers les autres, formant de petits groupes aux configurations diverses, dialoguant en musique par de brèves phrases rythmiques, mélodiques, essayant de se répondre en imitant le timbre d’instruments parfois complètement incompatibles au leur. Géométries aléatoires s’annonçait dès lors comme un spectacle totalement imprévisible.

Le sérieux des musiciens, leur investissement dans la performance, la solennité des postures sont tout autant d’éléments qui contrastaient avec le côté ludique de plusieurs compositions. Par exemple, la pièce Les cahiers, présentée et dirigée par sa compositrice Diane Labrosse, se voulait un jeu de rôles où chacun connut la nature de son personnage en même temps que le public. L’auditeur, qui savait ainsi qui devait jouer quel rôle, pouvait s’amuser à observer les moyens mis en œuvre par les musiciens pour traduire les directives: le jeu dissonant en doubles cordes du violoniste Guido Del Fabbro, dit «le contestataire», le changement constant de petits instruments hétéroclites par «l’indécis» Jean Derome, les solos aériens, usant des harmoniques pour la violoncelliste «rêveuse», Émilie Girard-Charest… Le sourire de Diane Labrosse, entrevu à la fin de la performance alors qu’elle dirigeait son regard vers Magali Babin aux effets électroniques, en disait long sur le plaisir vécu et sans doute partagé entre le groupe et la créatrice de la pièce.

Autre moment complètement déluré de la soirée: le fameux Oiseaux d’ailleurs de Sandeep Bhagwati, présent dans la salle, alors que tous les musiciens se retournèrent pour mettre un masque d’oiseau coloré. Un moment rafraîchissant qui prouvait, hors de tout doute, que l’Ensemble SuperMusique ne se prend pas trop au sérieux. Et c’est là la plus grande qualité du groupe: si chaque instrumentiste semble investi d’une réelle passion et d’un désir de rendre justice aux diverses compositions mises au programme, on évite de tomber dans l’ambiance trop formelle, rendant ainsi la musique actuelle accessible à tous. Car, si le répertoire a la qualité d’être inventif, force est d’admettre qu’il est plutôt austère à la seule écoute. À ce propos, le coup de cœur musical va à Reinventing the Wheel, ayant offert quelques-unes des rares impressions de structure rythmique familière. Vous me direz qu’exploiter les lieux communs n’est pas l’objectif de la musique actuelle, mais l’oreille humaine ne peut s’empêcher de s’accrocher aux éléments sonores qu’elle connaît; on ne chasse pas les habitudes d’écoute d’une vie sur commande…

En somme, l’Ensemble SuperMusique est à n’en point douter un collectif de professionnels confirmés. La preuve la plus probante de leur rigueur et de leur talent s’est d’ailleurs manifestée dans Atlas Eclipticalis de John Cage, réduite à dix minutes pour cette soirée. Si le compositeur fut déçu de la création de la pièce en 1961 à Montréal, il aurait sans doute apprécié voir la reprise pendant Géométries variables: un moment d’intense concentration, mais aussi de recueillement, où chacun, les yeux fermés, la posture fière, jouait avec passion. Un extrait au minutage bien serré, divisé en cinq cycles clairement indiqués par les mouvements giratoires des bras de Joane Hétu, chef d’orchestre pour l’occasion. Cette dernière a d’ailleurs terminé la pièce les mains jointes, au-dessus de la tête, comme en signe de prière après ce qui venait d’être ni plus ni moins qu’une communion par et pour la musique.

… une expérience, intellectuelle et sensorielle, d’une musique faite pour être vue autant, sinon plus, que pour être entendue.